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Le prix Vaclav Havel décerné à Murat Arslan: le récit

Nous avons déjà été dans des situations où un candidat sélectionné ne pouvait pas être présent du fait qu’il était détenu. Dans ce cas, le candidat est représenté par un membre de sa famille. Dans ce cas spécifique de M. Arslan, exceptionnellement, le candidat sera représenté par son avocate. Si son avocate n’est pas en mesure de participer, il n’y aura pas de représentation.

Voilà quelle était la position du Conseil de l’Europe le 4 octobre.

C’était en réponse à mon courriel ainsi rédigé : « Notre collègue MURAT ARSLAN est en prison, victime de la répression arbitraire du pouvoir turc qui s’est abattue sur lui en raison de son engagement courageux en faveur des droits démocratiques fondamentaux. Ainsi, hélas, il ne pourra assister à la cérémonie où comme finaliste il devrait être présent. C’est pour cela que son avocate nous a fait savoir que Murat ARSLAN voulait être représenté par MEDEL. MEDEL m’a choisie comme déléguée. Ce n’est donc pas seulement assister à la cérémonie que nous souhaitons, mais représenter physiquement Murat ARSLAN au déroulement de cette cérémonie et recevoir le prix, si par cas il était choisi, ou, dans le cas contraire, le document remis aux finalistes ».

Il restait quatre jours pour convaincre le conseil de l’Europe de la légitimité d’une représentation effective de MEDEL au sein du parlement du Conseil de l’Europe.

Alors, il était proposé seulement de m’octroyer un « badge visiteur » avec accès à la galerie, c’est-à-dire à un espace vitré séparant le public de l’hémicycle du parlement.

Le 5 octobre Gualtiero écrit au conseil de l’Europe pour confirmer que je représenterai MEDEL le 9 octobre ; on espérait, encore, la venue à Strasbourg d’Öykü Digem Aydin (l’avocate de Murat) et la possibilité de  ma présence à ses côtés. Quoiqu’il arriverait, il était décidé que je serai à Strasbourg prête à toute éventualité.

Le 6 octobre, alors qu’en début de matinée, le conseil de l’Europe m’avait envoyé une demande de pièce d’identité pour établir le badge visiteur -que j’avais aussitôt satisfaite- je reçois un email annonçant un contact téléphonique dans l’après-midi. La situation allait-elle évoluer ?

Ainsi, j’ai fait connaissance avec Sonia Sirtori avec qui, désormais, j’ai été en contact suivi. Elle m’exposa ceci : le cas de Murat est inhabituel du fait de l’absence de famille en capacité de venir recevoir le prix ; alors que la présence supplétive de l’avocate avait déjà un caractère exceptionnel, celle-ci avait fait savoir, la veille, l’impossibilité de son déplacement. Ainsi m’autoriser à représenter Murat serait encore plus exceptionnel, cela d’autant que les noms des sponsors, comme MEDEL, ne sont pas, habituellement, révélés. Eventuellement, j’aurais à prononcer quelques mots et à répondre à la presse. Mais rien n’était sûr.

Tout devait se décider dimanche 8 au soir au cours d’une ultime réunion du jury du prix.

Le 8 octobre, tard, je reçois un coup de fil de Sonia Sirtori : les délibérations se prolongent. Je pressens que le gouvernement turc fait des pressions.

Je ne suis pas encore assurée de pouvoir prononcer le discours écrit par Murat dont elle connaissait, désormais, l’existence. Cependant, je suis assurée d’être placée dans l’hémicycle avec les “autorités” ainsi que les récipiendaires et de recevoir le diplôme de finaliste, ou de lauréat, selon. L’on m’attend dès la fin de matinée, la remise du prix ayant lieu à l’ouverture de la séance parlementaire à 15h.

De visiteuse mise à distance derrière une vitre, je passe à actrice dans l’assemblée.

Pour Murat je m’en réjouis, il pourra, quoiqu’il arrive, savoir qu’il a été représenté par sa famille civile européenne.

Le discours de Murat : Ingrid Heinlein avait reçu un texte écrit, en turc, par Murat, pour le cas où il recevrait le prix. Elle s’était chargée de le faire traduire en anglais. Dès que j’ai appris l’indisponibilité de Öykü, je me suis préoccupée de faire traduire ce texte. Soucieuse de disposer d’une traduction en français de première main, je contacte une personne d’origine turque qui, au cours du week-end, parvient à me donner une version française au plus près du texte turc ; je m’efforce, ensuite, de donner à ce texte une formulation à la hauteur de sa beauté et de sa force.

Pendant ce temps, le bureau de MEDEL se prépare : communiqués et discours, en français et anglais, photo de Murat, tout est prêt quelle que soit la décision du jury.

La remise du prix : à mon arrivée au Conseil de l’Europe, une fois les formalités habituelles accomplies, je suis accueillie et conduite dans une petite pièce où se trouvent déjà les deux autres nominés le « Comité Helsinki de Hongrie » et le Père jésuite Georg Sporschill ; seul ce dernier parle français et il est fort curieux de l’actualité de notre pays.

Le suspens continue.

Nous assistons ensemble à l’inauguration d’une exposition Václav Havel, un concentré à l’état pur de toutes les cérémonies de ce genre. Ensuite, alors que je m’attendais à une visite guidée de cette exposition, nous sommes conduits dans la salle à manger pour déjeuner avec les hautes autorités, secrétaire général du Conseil de l’Europe, ministre des affaires étrangères tchèque etc….et des fonctionnaires du Conseil de l’Europe, souvent polyglottes et, dans l’ensemble, particulièrement sympathiques, comme Sonia Sirtori.

Dans ma tête le suspens continue et les nourritures terrestres sont bien peu de choses face à ce moment historique et tragique à la fois.

Alors que la séance du parlement et le verdict tant attendu n’allaient pas tarder, Sonia Sirtori, discrètement, me conduit, dans l’hémicycle encore vide en me disant : « vous avez le discours de Murat Arslan, apprêtez-vous à le prononcer. » et elle me décrit par avance le déroulement de la cérémonie. Devant garder le secret, je regagne la compagnie des « nominés » et fait comme si je ne savais rien, discutant avec le jésuite autrichien à bâtons rompus, alors que j’aurais bien voulu relire le discours de Murat.

L’émotion est forte ; je pense à Murat dans sa prison où 26 détenus s’entassent ; je revois les images de Murat au congrès de Toulouse du SM. Il est présent dans mon esprit.

Nous sommes conduits dans l’hémicycle, chacun à notre place, moi derrière le siège vide de Murat, symbolisant, outre la persécution étatique qui s’est abattue sur lui, la nation turque vide de démocratie. Tous les photographes se précipitent vers les deux autres nominés et s’attardent bien peu au niveau de ce fauteuil sans occupant.

La routine de l’ouverture de la séance du parlement commence et l’on passe rapidement à l’énoncé de la décision du jury. Tout va alors très vite, remise du diplôme, remise du trophée, félicitations du jury et des autorités diverses, séance photos etc…et les paroles de Murat proclamées fortement dans cet hémicycle.

Et de penser que j’étais là sans titre d’honneur personnel : ce n’était pas moi qui avait lutté avec courage contre l’arbitraire du pouvoir turc, ce n’était pas moi qui subissait les brimades éprouvantes dans une geôle turque, ce n’était pas moi qui avait écrit ce discours si beau et si courageux. Mais Murat avait donné à MEDEL ce droit extraordinaire de le représenter au nom des valeurs démocratiques que nous avons en partage.

Les jours d’après, j’ai reçu par Öykü Digem Aydin, un témoignage de gratitude très touchant en son nom et au nom de Murat et de sa femme. La parole de Murat avait résonné dans toute l’Europe et la courageuse résistance de tous les collègues turcs arbitrairement réprimés, avait reçu plus qu’un hommage, une reconnaissance internationale.

Quelques jours plus tard je remettais à l’Elysée, le diplôme et le trophée pour être transmis à l’ambassade de France en Turquie.

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